Centre-bourg de Saillant. Une église romane en pierre de taille magnifiquement rénovée. Un parvis pavé, une place ronde et douce et, en face, l’imposante bâtisse paysanne du Relais des Orgues. On entre sans frapper.
« Y’a quelqu’un ?! » Quelques secondes plus tard déboulent Cécile, 43 ans et survêtement, Hubert, 47 ans et tenue de plombier, Fabien, 39 ans et bleu de travail. Tout le monde s’ébroue, s’organise – « je te rappelle plus tard » – et s’assemble autour d’une table face au bar. Nous faisons de même. Ils ont un peu de temps avant de retourner à leurs activités respectives : ménage, nourrissage des vaches et réparation de chaudières. C’est prévu. Mais tout de même, on ne va pas y passer la matinée.
Fabien, enfant du village et fils d’agriculteurs, attaque d’emblée : « L’ancien boulanger est parti il y a 3 ans. Il n’y avait pas de repreneur. Alors moi, vous comprenez, je ne pouvais pas voir mourir le seul commerce de Saillant. En plus, je connais très bien le village et la vie locale, je crois que c’est un réel atout pour reprendre le commerce. » Après plusieurs réunions d’habitants avec les représentants de la commune et de l’intercommunalité, le Relais des Orgues nouvelle génération a vu le jour et ouvert ses portes le 18 juin 2018. L’appel de Londres me revient en mémoire, et je ne peux m’empêcher d’y voir un symbole républicain. Alors, quels services propose le Relais des Orgues aujourd’hui ? « Eh bien, c’est simple, dit Hubert, on répond à toutes les demandes des gens. » On ne laisse pas divaguer son imagination sur toutes les demandes des gens, non. Soyons sérieux.
ON AVAIT PAS MAL D’IDÉES
« J’avais pas mal d’idées, dit Hubert. On a créé une SNC parce qu’on peut y mettre plein d’activités. Nous faisons bar tabac presse, relais postal, boulangerie, épicerie, gaz, restauration et Française des jeux. » Fabien me demande si j’ai bien tout noté. Oui, c’est bon. Je suis un peu affolée par l’ampleur de la tâche – la bâtisse fait 120 m² au sol, sur deux étages, avec 15 couverts, services midi et soir. Mais comment font-ils ? « Ce qui était pénible, au début, c’est qu’on a dû délaisser un peu nos activités respectives pour faire les formations réglementaires sur le tabac, le gaz, le loto… ça nous a pris du temps » s’accordent Hubert et Fabien. Ah oui, j’avais oublié qu’ils avaient un travail à côté. En plus. Ils n’ont pas reçu d’aide au démarrage, mais contracté deux emprunts bancaires de 15 000 € et apporté 10 000 € sur leurs fonds propres pour les travaux et la trésorerie. La peur du risque ? Connaissent pas. Ils sont tous deux entrepreneurs, et le montage de projet leur a semblé « facile ». Bon, et Cécile alors ?
UN LIEU DE VIE, CRÉATEUR D’EMPLOIS ET D’ÉCONOMIE LOCALE
« Moi j’étais salariée au début, puis j’ai rejoint les associés en 2019. » Ah bon ? « J’ai accroché sur les gens, j’ai adoré Saillant, et les gars sont chouettes. J’avais envie de m’investir. Je me projette à 200 % dans cette aventure. » Je trouve suspecte une entente si parfaite dans un collectif d’associés. D’expérience, je sais que c’est rare. « Ça a changé entre nous, admet Fabien. C’est comme si on était mariés, on se voit plus que nos familles. » Rires et coups de coude amicaux sous la table. Comme j’attends la suite, Hubert ajoute « nous avons trouvé notre rythme, chacun a pris sa place dans le travail ». Il y a aussi Thierry en cuisine, et Ginette en renfort les week-ends. Le recrutement d’un serveur saisonnier est en cours, « mais on aimerait faire un CDI ». Je questionne la santé financière de l’entreprise qui supporte bientôt quatre emplois, et Fabien confie que « le réalisé dépasse le prévisionnel, plus, plus ».
L’ÉNERGIE VIENT DU BUT, DE L’OBJECTIF
Le climat change. Midi approche et l’appel du travail se fait sentir. Je ne peux pas libérer Cécile, Hubert et Fabien sans avoir entendu le plus beau : ce qui les pousse, ce qui les anime. L’attachement au pays arrive tout de suite – « je suis né ici », « c’est un très beau village auvergnat pas loin des villes », « j’aime la campagne, la montagne, la nature » – en lien avec un objectif clair : « On ne voulait pas que le village meure. » L’un souligne l’impulsion donnée par la mairie, l’autre le goût du challenge. Quant à l’épidémie de covid, elle est à double tranchant : les fermetures ont freiné l’activité, mais de nouvelles familles sont venues des grandes villes et ont racheté des biens. Tous trois sont fiers de ce qu’ils ont fait, contents que ça marche. Un ange passe. Il est temps pour nous de partir. Direction : les orgues basaltiques du volcan du Montpeloux qui ont donné leur nom au Relais et sont « parmi les plus belles d’Europe ».